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Sous l’Amazone coule un fleuve

du 2 fev au 12 mai 2013

L’année dernière, lors d’un entretien avec Laure Adler sur France Culture1, l’écrivain Philippe Djian était invité à s’exprimer sur la question du style en littérature : «Il est très compliqué de parler du style, de la langue, d’expliquer ce que c’est. On a découvert un fleuve énorme sous l’Amazone, beaucoup plus grand : c’est ça la langue. Quand vous lisez une histoire, le petit fleuve qui est au-dessus peut être sympathique (miroitement, tranquillité…), mais si cette chose est capable de transformer votre vie c’est parce qu’il y a quelque chose en dessous, et ce sont souvent des textes dont les histoires ne nous ont pas spécialement marqués. C’est comme les infrasons : je crois qu’il y a un infra-récit, qu’il y a quelque chose en-dessous. Si la littérature ne sert pas à ça, elle ne sert à rien. Si vous voulez des histoires, achetez les journaux, il y a plein d’histoires dans les journaux. Si vous allez vers la littérature, n’y allez pas pour lire des histoires. Ce qui est important, pour un auteur, c’est de mettre au point une langue et un style.»
L’art n’a pas pour finalité de raconter des histoires et, inversement, les histoires n’ont pas nécessairement besoin de l’art pour être racontées. Marcel Proust ne dit rien d’autre quand, dans à la Recherche du temps perdu, il montre son personnage définitivement bouleversé par la vision des tableaux d’Auguste Renoir, à tel point que sa vision de la réalité s’en trouve définitivement modifiée : les femmes sont devenues des Renoir, les voitures, l’eau, le ciel sont devenus des Renoir2… Le monde n’est plus le même avant et après les tableaux de Renoir, non pas que Renoir ait créé une nouvelle image du monde ou qu’il ait raconté telle ou telle histoire inédite : le bouleversement provient de la langue picturale elle-même. Quelque chose s’est passé avec ces peintures, leur intonation, le vibratile de leurs couleurs, et un filtre nouveau s’est déposé sur la réalité, comme une lentille polarisante. C’est ce que le philosophe Gilles Deleuze nomme l’ «opération poétique», un état singulier de la langue qui «tremble de tous ses membres». Cela signifie que comprendre une oeuvre d’art, ce n’est plus seulement la considérer dans sa signification ou dans une supposée logique mais admettre qu’elle soit la résultante d’une «opération poétique» par laquelle la langue «n’est plus seulement une instance de connaissance mais qu’elle devient, par le style, une puissance.»3 La très belle image de ce fleuve invisible, qui se déploie à 4000 mètres de profondeur, bien plus lent mais bien plus vaste que l’Amazone, constitue le point de départ de cette exposition qui rassemble plus de 60 oeuvres réalisées par une quarantaine d’artistes de la collection du FRAC Auvergne
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Jean-Charles Vergne

Avec les œuvres de Dove Allouche – Pierre-Olivier Arnaud – Erwan Ballan
Eric Baudelaire – Gabrielle Chiari – Roland Cognet – Patrick Condouret
Marc Couturier – Jean-Christophe De Clerq – A K Dolven – Andreas Eriksson
Roland Flexner – Gilgian Gelzer – Michel Gouéry – Nicolas Guiet – Rémy Jacquier
Alain Josseau – Emmanuel Lagarrigue – Jean Laube – Dominique Liquois
David Lynch – Stephen Maas – Fabian Marcaccio – Manuela Marques
Al Martin – Jean-Luc Mylayne – Adrian Paci – Dominique Petitgand – Eric Poitevin
Martial Raysse – David Reed – Camille Saint-Jacques – Alain Sicard – Olivier Soulerin Walter Swennen – Ned Vena – Maris Voignier – Achyara Viakul – Jessica Warboys

du mardi au samedi de 14 h à 18 h
le dimanche de 15 h à 19 h
Visites guidées gratuites le samedi à 15 h et 17 h, le dimanche à 16 h 30

1- France Culture, Hors-Champs, 30 août 2012.
2-
2- Marcel Proust, « Le Côté de Guermantes II », à la recherche du temps perdu, Gallimard, pp.999-1000.
3- 
Christophe Fiat, La Ritournelle, Editions Léo Scheer, 2002, p.62.

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