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Love is in the Hair…

«A l’instar du pou, le coiffeur est un parasite du cheveu». Cette saillie sans ambigüité montre assez bien l’estime que portait l’implacable Pierre Desproges à la corporation qui préside traditionnellement à l’esthétique de nos cuirs chevelus. Sans doute avait-il lui aussi fait l’amère et regrettable expérience de s’être fait ruiné la moumoute en deux ou trois coups de tronçonneuse (parce que le lance-flamme était heureusement en révision) dans l’une de ces boutiquesl’indigence du savoir-faire tente maladroitement de se dissimuler sous de grossières déco flashy et une entêtante sono décérébrée et dont le simple nom, du type Frigid’Hair ou Robora’Tif aurait dû suffire à nous faire dresser les cheveux sur la tête et prendre nos jambes à notre cou.

Pour autant, on ne nous fera pas croire que le plus réputé esthète des humoristes du XXè Siècle ne faisait pas la différence entre «coiffeur» et «coiffeur».

En effet, tout un chacun sait que cette antique profession, loin d’être constituée exclusivement de maladroits artisans en mèche avec la laideur, recèle au contraire en son sein de véritables et précieux artistes du cheveu, des créateurs passionnés qui ont préféré, pour exprimer leur vision du monde, délaisser le pinceau ou l’archet au profit d’une paire de ciseaux.

S’il fallait encore en faire la démonstration, alors Isabelle et Martial en sont deux remarquables exemples. RUST, la boutique créée en janvier 2010 où ils officient tout deux, tient d’ailleurs tout autant du salon de coiffure que de l’atelier de création. Ici le cheveu y est systématiquement considéré comme une délicate matière vivante et noble dont le travail nécessite autant de dextérité dans le geste que d’une parfaite maîtrise des perspectives et d’une disposition toute particulière dans le dessin des formes géométriques. Il est vrai que la coiffure, chacun en conviendra, n’est jamais neutre et les symboliques qui s’y rattachent, force, séduction, rébellion et bien-sûr intimité, ont et continueront d’alimenter les grands mythes de l’humanité. Dans cette perspective, on admettra volontiers qu’il vaille mieux s’adresser à de vrais spécialistes.

Et pourtant, il s’en est fallu d’un poil pour que l’indispensable RUST ne voit jamais le jour dans le centre ville de notre auvergnate capitale. Rien en effet ne prédisposait Martial, originaire du Jura et qui disposait de 28 ans d’expérience dans la coiffure dont plusieurs années passées à Londres comme, excusez du peu, directeur artistique chez TIGI, la référence absolue en la matière chez nos amis british ! Période où il noua aussi d’enthousiasmantes collaborations avec des stars du ciseau comme Alexandre Mac Queen. Vous me direz, rien ne le prédisposait non plus à devenir coiffeur, puisque Martial s’est d’abord cherché du côté du dessin industriel puis dans les Beaux-Arts avant d’être embarqué presque par hasard dans des aventures artistiques liées au cheveu, le menant à collaborer définitivement avec des équipes passionnées et de haute volée de créateurs de coiffure.

Bref disions-nous. Rien ne le prédestinait à s’installer ici s’il n’y avait eu l’heureuse intervention toute cupidonienne qui lui fit croiser les pas (et aussi le doux regard !) de la délicieuse Isabelle. Celle-ci ayant délaissé son envie enfantine de devenir maître-nageuse voguait alors sur un existentialisme plus bohême et avait, avant de se perfectionner dans l’art du cheveu, décrocher un brevet des métiers d’art, fait de la sculpture sur pierre, travaillé dans les bars et pour des agences de pub.

De cette lumineuse et chanceuse histoire d’amour naquit le projet de créer un salon, tout d’abord en appartement puis au … de la Place de la Victoire.

RUST, qui signifie oxydation du fer, vous l’aurez compris, n’a pas vocation à être l’officine de plus qui obéit au diktat d’une mode capillaire dénuée de caractère et uniformisée. D’ailleurs, lorsque l’un ou l’autre vous parle de coupe, c’est d’architecture et de sculpture dont il est question, où seule compte l’attention portée aux volumes, à la lumière, à la cohérence de la brillance, en fonction de la spécifique texture du cheveu, d’une morphologie, d’une attitude générale

De même, nulle crainte d’être expédié chez RUST en quelques coups de rasoir. Nos deux stylistes préfèrent oeuvrer avec sérénité au ciseau majoritairement pour la précision de la coupe. «Les techniques pour travailler le cheveu sont multiples» précise Isabelle «mais chaque réalisation, même complexe, doit être facile à entretenir et surtout très pratique à coiffer» ajoute Martial.

Mais n’allez surtout pas croire que leur savante connaissance capillaire les incite à afficher la moindre suffisance ou la moindre prétention, bien au contraire. Martial et Isabelle aiment écouter, comprendre, saisir les désirs, parfois confus il est vrai, de la personne qui veut «changer de tête sans pour autant se trahir». «Nous souhaitons mettre notre passion au service d’une philosophie simple mais essentielle, prendre du plaisir à faire plaisir». Même le ronchon Desproges aurait sans conteste applaudit à deux mains.

De fait, ils ne stéréotypent pas leur travail, ne proposent pas non plus de modèles à la chaine (parce que «où il y de la chaine», hein, enfin bref…). Chaque coupe est, répétons-le, personnelle et si l’on reconnait immanquablement l’élégance et l’hypnotisant style RUST, la diversité des réalisations potentielles, forme et style, est quant à elle, juste stupéfiante.

Martial et Isabelle avouent puiser une partie de leur inspiration dans l’éclectique et bouillonnant univers du Pop’Art, mais ajoutent-ils aussitôt, «on est trop gourmands de l’air du temps et de l’évolution des mouvements artistiques traditionnels ou plus techno pour ne nous nourrir que de cela».

En toute logique, on retrouve ainsi des expos d’art et de photos à l’intérieur du salon qui évoluent au gré des envies de Martial et d’Isabelle et où les oeuvres concourent, s’il en était besoin, à donner un supplément d’âme à ce salon décidément hors du commun. La chose là encore n’aurait pas déplu à qui vous savez qui craignait plus que tout au monde qu’une fois vissé sur le fauteuil et le cheveu humide on ne l’entretienne des «oscillations du thermomètre» et autre commentaire météorologique répandu dans les milieux capillicoles.

Et comme si ça ne suffisait pas à nos deux boulimiques de la vie, ils créent à leurs heures perdues des performances autour de la coiffure avec des amis ou des mannequins, réalisent de vivifiants clips diffusés sur internet, multiplient les séances de shooting-photo et montent entre autres un excitant projet de collaboration avec un sélect coiffeur-studio de Paris. «Etre passionné, c’est accéder chaque jour à un peu plus de liberté» affirme Isabelle dans un charmant sourire.

On comprendra aisément que la clientèle qui se rend chez RUST ne saurait elle-même être stéréotypée. Tout a été pensé pour que la rencontre des mondes dépasse le champ des possibles et devienne une réalité simple mais absolument vitale.

Salon de coiffure, atelier de création, galerie d’art, lieu de circulation de la pensée, boutique du bien-être, RUST, c’est un peu tout cela à la fois et un peu plus peut-être, un acte militant contre le mortifère cloisonnement de nos modernes époques et un pied de nez adressé à tous les tristes apôtres du fatalisme.

En conclusion, ce serait juste friser le ridicule que de ne pas pousser les portes de RUST (entre 10H et 20H) pour découvrir avec délectation que, non les coiffeurs ne sont pas nécessairement les parasites du cheveu et que certains d’entre eux savent même avec un soin infini et pourquoi le taire, avec amour, lui prodiguer des soins qui touchent au merveilleux. Et puisqu’il est ici encore question du plus noble des sentiments, laissons le dernier mot au décidément si regretté Pierre Desproges : «Amour : il y a ceux qui en parlent et ceux qui le font. A partir de quoi il m’apparaît urgent de me taire».

CharlyM

 

 

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